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Le blog de Clotilde Escalle

"Consolation de la Philosophie"

26 Novembre 2012 , Rédigé par Clotilde Escalle

« N’espère rien, n’aie peur de rien

Et tu désarmeras ton adversaire.

Quand on est agité par la crainte ou l’espoir,

Faute d’être calme et de se contrôler

On lâche son bouclier, on abandonne son poste

Et on resserre le lien qui sert à nous traîner. »

 

(Consolation de la Philosophie, Boèce, Petite Bibliothèque Rivages, 1989)

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Des horizons multiples

10 Novembre 2012 , Rédigé par Clotilde Escalle

Parler littérature, la lire, en faire un retour de lecture intelligent, subtil, éclairé, n’est pas chose facile de nos jours. Ecrire relève d’une gageure, d’un pari risqué. D’aucuns me rétorqueront que écrire et lire ont toujours été des actes de résistance, que la réception d’un texte a toujours été difficile, souvent l’objet d’un cercle restreint, d’une élite. Voilà, le mot est jeté: „élite“. Cela suppose une habitude de la lecture, des références, une envie d’être surpris, un désir de sublimation. Tout cela nous éloigne effectivement de notre esprit moutonnier des rentrées littéraires, du dernier roman à lire, de la communication. Souvent on m’a demandé, comme si c’était possible en quelques minutes de le faire: „qu’est-ce que vous diriez de votre roman? Pour faire court, résumez-le moi“.

 

DR

 

 

La littérature est apatride

Une libraire me disait dernièrement que les enfants et les jeunes gens lisent moins car, avec tous les moyens de distraction dont ils disposent aujourd’hui, lire équivaudrait à se retirer un temps du monde, et de cela ils se privent sous peine d’exclusion de leurs groupes d’amis. C’est vrai que la lecture suppose cet abandon momentané du monde, pour entrer dans l’élaboration d’un univers complexe, et que lire peut aussi avoir affaire avec l’ennui. Tout ce qui semble nous être interdit, à une époque de zapping outré.

Pour écrire, publier, et vivre à Paris, tout en désirant préserver ma solitude, pour vivre donc en France, je sais combien il est difficile d’être un peu de nulle part. Et là où la littérature voudrait une déterritorialisation, un univers dont il faudrait découvrir les règles, il est de bon ton de cataloguer tel ou tel type de roman – autofiction notamment qui surfe dans les bons vents – tel type d’auteur ou une écriture supposée difficile, difficulté soit dit en passant due souvent au nombre de personnages, à un récit non linéaire. La littérature exige, en un certain sens, d’être apatride. Et pourtant, on aime aussi cataloguer les auteurs. Dans mon cas, du moins en France, ce n’est pas chose aisée. Il est difficile pour autrui de comprendre d’où je viens. Je suis française, certes, mais je suis née au Maroc, après le Protectorat. Je ne suis pas véritablement pied-noir, je ne me revendique pas comme telle. Et puis j’ai vécu longtemps en Espagne, au point que l’espagnol devienne une sorte de langue maternelle. Puis je suis arrivée, à l’âge de vingt-quatre ans, approximativement, en France. La France est donc un territoire d’élection. Lorsque j’y suis arrivée, en 1981, l’esprit de liberté qui y régnait m’avait fascinée.

 

Une multitude de paysages

Eh bien, quelques trente années plus tard, bien que me sentant française, avec une réception plutôt correcte de mes romans, je dois constater que l’on n’a pas encore compris – ce que j’ignore moi-même d’ailleurs en partie – la particularité de mon écriture. On a pu me reprocher d’être trop frontale, crue, dans la transgression (ce que doit être à mon sens la littérature), mais si l’on vit au Maroc, en tant que jeune femme, on est sans cesse confrontée au désir des hommes, à leurs obscénités, à ce mirage d’une sexualité qui fait peur. On m’a dit aussi que le corps dans mon écriture était sans poésie. Evidemment, mon père étant médecin au Maroc, j’ai pu voir ce que d’aucuns ne verraient dans un pays avancé, lèpre, choléra, misères au dernier stade. On m’a dit que j’avais une écriture plutôt masculine… On dit tellement de choses. Autre point, qu’il plaise ou non: au Maroc nous étions élevés dans la fascination de l’Amérique. Les voitures étaient américaines, les films américains, les paysages alentour pouvaient s’apparenter à ceux de l’Amérique. De même, l’Espagne d’alors et ses plaines sèches me donnaient des étendues à perdre le souffle, où misère, violence et grandeur, dans une outrance de paroles et de gestes, avaient un certain panache, un côté extraverti. Tout cela, et bien d’autres événements et géographies, font de mon écriture un monde rebelle à une analyse purement française, avec ses critères. J’ai l’impression alors de venir d’un continent si éloigné, que je porte mon identité française comme une entrave. C’est d’un mélange subtil de nombreux paysages que je suis faite. Et sans vouloir plonger dans l’autofiction, si je ne rentre pas dans le moule d’une certaine littérature française, je me demande quelle réception l’on peut avoir de mon travail. A une certaine époque, à la suite d’un malentendu, à la parution de l’un de mes romans, la presse m’avait rangée dans le camp des Christine Angot. Je n’ai absolument rien contre Christine Angot, nous n’avons simplement pas la même façon de procéder. Sur le conseil de mon éditeur, malgré mes réticences, j’ai surfé un temps sur ce malentendu, allant sur les chaînes de radio et de télé expliquer combien le malentendu était grand. Peu importe, cela faisait vendre. Ainsi, nous voulons toujours du spectaculaire. Aujourd’hui, la réception de la littérature se fait de plus en plus difficile, dans un monde où les éditeurs eux-mêmes sont licenciés et n’ont plus la faculté d’accompagner leurs auteurs dans ce long cheminement qu’est la littérature. Je connais nombre d’éditeurs qui souffrent de ne plus représenter leurs auteurs. J’en connais de courageux, qui bravent les tempêtes. Mais peut-être cela a-t-il toujours été ainsi…


 (article paru dans le Kulturissimo de novembre 2012, www.kulturissimo.lu)

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