Massage
14 juin
En fermant les yeux, je me suis dit que ma mère ne m’avait pas même touchée comme une masseuse professionnelle chinoise. Pas même ce sourire poli, à peine ce regard indifférent la plupart du temps, perdu au loin, accroché à la pendule, les dix dernières minutes.
Et puis j’ai ressenti une sorte de mépris pour l’Occidentale que j’étais, achetant le labeur d’une femme sans doute pauvre, mal assise sur son tabouret de plastique dur, et qui, parfois, enfonçant son index plié au creux de la plante du pied, m’indiquait, avec un sourire de mise, que je devais avoir mal à l’estomac. Et dans la région du plexus solaire.
Puis, les yeux mi-clos, j’observais cette femme plutôt jolie, à l’air sombre. J’éprouvais un sentiment masculin de domination. J’étais homme au bordel, entouré de femmes au sourire poli, qui chuchotaient entre elles, et m’observaient, tout ignorant que j’étais des codes.
Car elles avaient des attitudes aguicheuses, enfin je pense.
Devant tant de confusion de ma part, j'ai pris la décision de ne plus aller me faire masser les pieds.
Pas encore
« Chez moi le présent c’est pour l’éternité, et l’éternité ça bouge tout le temps, ça fond et ça coule. Cette seconde, c’est la vie. Et quand elle est passée, elle est morte. Mais on ne peut pas recommencer à chaque nouvelle seconde, il faut partir de ce qui est mort. C’est comme les sables mouvants… sans espoir dès le départ. Une histoire ou un tableau peuvent raviver un peu la sensation, mais c’est insuffisant, vraiment insuffisant. Seul le présent est réel, et je sens déjà le poids des siècles qui m’étouffent. Il y a cent ans vivait une jeune fille comme moi je vis aujourd’hui. Et elle est morte. Moi je suis le présent mais je sais que je passerai aussi. Les grands moments, les éclairs brûlants passent comme ils viennent, dans d’incessants sables mouvants. Et moi je ne veux pas mourir. »
(Journaux 1950-1962, Sylvia Plath, éditions Gallimard, septembre 1999)