Voyage ordinaire en Sévétie
Temps immobile pétrifié suspendu. Il y a tellement de façons de dire l’éternité cette peur de l’éternité parallèles qui ne se rejoignent jamais à l’infini dit-on sans comprendre sans jamais comprendre. Elle soupire à en arracher le plafond. C’est beau y’a pas à dire c’est beau surtout si en poésie on remplace ce maudit plafond par cette maudite voûte céleste et que l’on se prend à guetter une étoile filante. Soupir. Sauf que je ne sais pas de quelle voix il s’agit toujours pas comment m’en distraire. Même si je dis elle et que c’est elle qui soupire. Cette mélancolie cette nostalgie de la pierre tombale des cimetières qui débordent des collines pas de murets pour contenir les tombes elles poussent en Afrique sous les pas des hommes. S’emplir la bouche de la terre des mots des mots des cadavres des ci-gît urbains campagnards rupestres montagnards des ci-gît des grottes des troglodytes des hauteurs inacceptables des trous perdus et des patrimoines de l’Unesco ça gît partout de toute façon à Venise les canaux en été débordent des ci-gît l’hiver ils sont pétrifiés. Et j’allais jetant de mes phrases vaines des passerelles entre les jours. Indigestion. Intoxication des menus touristiques. La soif de découvrir. Emmène-moi en voyage mon chéri. Nul endroit où se cacher où disparaître où laisser la boîte osseuse et dire ah bon lui elle qu’importe berk berk berk je ne sais pas exactement d’où cette voix m’est venue qui enfle par tout le corps excrète ses humeurs ses envies ses odeurs autant de parfums d’un nulle part à conquérir.
(Clotilde Escalle, Voyage ordinaire en Sévétie, préface Lionel-Edouard Martin, Gwen Catalá Editeur, 2016)
Heureusement
Les mouches s'étaient réfugiées dans la salle de bain, pièce à la lumière fixe. Et leur bourdonnement semblait lutter contre la masse silencieuse de la maison. Des fantômes glissaient dans les couloirs, lui emplissaient la bouche. Heureusement, dans cette maison isolée, la nuit, il y avait les mouches.