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Le blog de Clotilde Escalle

Petit Zéphyr

4 Avril 2018 , Rédigé par Clotilde Escalle

Le corps monte jusqu’au plafond en faisant une torsade. Puis il s’accroche au lustre, rampe jusqu’à la fenêtre. Les mains jettent leurs crampons à droite, à gauche, le menton s’enfonce dans l’épaisseur des rideaux, les yeux roulent et se révulsent.

La lumière a baissé, à cause du voile inopiné que fait le corps contre l’ampoule.

Il semble partout dans la chambre, contre les murs et les tentures. Mais il ne s’aventure pas au-dehors, ni par la fenêtre ouverte, ni par la porte donnant sur le couloir. Les mâchoires sont ouvertes, tel un piège. La peau a foncé, elle fait un bruit de feuilles sèches. Les os se sont assouplis et s’étirent comme du caoutchouc, ou s’enroulent sur eux-mêmes. La voix vibre, notes cristallines, chant mélodieux d’un au-delà ravissant. La langue s’étale contre le mur, gros morceau de viande rouge, distillant un liquide sucré dans lequel viennent s’engluer des fourmis.

Lorsque nous l’appelons, il ne se rend plus compte que c’est à lui que nous nous adressons. Pour lui dire de revenir, l’un de nous est obligé de grimper. Pour cela, il s’aide des membres noués, comme des barreaux d’une échelle, s’accroche aux mains, s’enfonce dans les berceaux de chair, glisse et ahane, cherche dans ce fouillis une oreille, et dès qu’il l’a trouvée, chuchote à l’intérieur. Mon père répond par un bruissement infini, un sursaut de toutes ses feuilles, qui pendent, accrochées à lui, comme de vieilles breloques. L’homme tente de le ramener à la raison. Il souffle par tous les trous qu’il trouve, colle l’oreille contre ce qu’il croit être la poitrine, et suffoque, pris dans des racines noueuses qui se déplacent doucement et se transforment en d’innombrables reptiles, dont avec effort il desserre l’étreinte.

Mon père a l’air bien, là haut, il nous le fait savoir à sa façon. Que l’on se débrouille sans lui.

Parfois nous sortons de la chambre et attendons qu’il veuille bien reprendre figure humaine.

(Extrait de Petit Zéphyr, en hommage à mon père, texte inédit)

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