Le temps des contes
28 Avril 2020 , Rédigé par Clotilde Escalle
Quand j’étais petite, tu me racontais des histoires avant de dormir. Ce soir-là, nous étions en Espagne, c’était l’été, il faisait chaud, je devais avoir un maillot de corps et une culotte de coton. Je te regardais, penché au-dessus de moi, avec ce sourire amusé que tu affichais chaque fois que, délicieusement, tu t’apprêtais à me faire peur et que, tout aussi délicieusement, je venais me blottir contre toi. Tu me parlais du loup qui mangeait les petites filles. Tu savais très bien imiter le loup, tu écarquillais les yeux, découvrais les dents, et le cri que tu poussais – toute la maisonnée était calme – ressemblait, tellement j’avais d’imagination, au plus épouvantable hurlement qui aurait déchiré la nuit dans l’une des forêts du Grand Nord. Ce soir-là, je m’en souviens encore, voulant accorder à ma vision la grâce incontestée d’une réalité de fillette, j’ai vu un loup, à travers la vitre de la fenêtre, de dos, marcher, comme toi et moi, au bord de la mer. Il était habillé de rouge, et je crois qu’il s’agissait d’un rêve, car, malgré la nuit, je le voyais très précisément. En outre, je n’avais pas peur. Ce loup, tu l’as si bien fait exister que, à mon tour, auprès des petites filles, j’écarquille les yeux et je pousse des hurlements. Les petites filles frissonnent de terreur tout autant que moi, jadis, et me demandent, passé leur émoi, de continuer à faire le loup. Il revient les hanter, la nuit, comme un personnage familier des contes, qu’elles auraient appris à aimer, à approcher de leurs mains tremblantes et pourtant avides de caresses.
(Extrait de Petit Zéphyr, inédit)