Toute seule - Hors les pages - 1
1 Décembre 2021 , Rédigé par Clotilde Escalle
J'ai écrit Toute seule (paru en octobre 2021 chez Quidam Editeur) pour une femme rencontrée dans un village de Bourgogne. Une jeune femme aux yeux noirs, farouche, une bête blessée, à moitié édentée, belle et digne. Elle vivait alors avec un vieil homme qui peignait. Des tableaux en devanture d'un commerce désaffecté où ils vivaient, certains assez naïfs pour être beaux. Elle avait, dans sa volonté de vendre ces tableaux - vingt euros - le désir d'en vivre un peu en même temps que celui de s'en débarrasser. Un désir là aussi blessé, comme une déroute, un destin annoncé, celui d'une misère à laquelle on n'échappe pas, quoi que l'on fasse. En plus d'être née femme et de monnayer son existence par cette condition-là.
Lors d'un colloque sur l'autocensure, auquel Pierre Jourde m'avait conviée, la conclusion en avait été qu'une femme s'autocensure forcément lorsqu'elle parle de sexualité. C'est encore le cas. Soit on la revendique avec agressivité, soit on instrumentalise le propos. Françoise revient seule de la forêt, où elle fait quelques rencontres contre des poignées d'euros. A chaque rencontre, elle s'affranchit de sa condition. Jusqu'au jour où elle ira plus loin encore, s'échappant avec la force qui lui a permis de tenir tête aux événements. La poésie se mâche, elle est dans cette marche sans fin. Je suis celle qui n'a pas su tenir tête à certains regards, celle qui au nom d'une certaine folie, a su encaisser une misère au quotidien - celle d'une exclusion. Je suis celle qui fonce droit dans le langage pour en dire les écorchures, la violence des obscénités et l'imaginaire qu'elles déclenchent. Je suis celle qui parle/écrit enfin et qui sait le pouvoir de cette parole depuis si longtemps. Depuis que l'on a brûlé mes cahiers (ma mère, j'avais douze ans) et qu'on me faisait promettre de ne plus recommencer. Je savais que dans cet interdit gisait un trésor, celui de pouvoir dire, quoi qu'il en coûte. Des femmes inquiètes, apeurées, en cage. Mon travail, entre autres, consiste à les en faire sortir. Sans mode d'emploi particulier.