L'Invisible
27 Janvier 2013 , Rédigé par Clotilde Escalle
« Il est une dernière personne qu’on ne reconnaît jamais parce qu’elle est constamment invisible, et c’est évidemment soi-même. Le miroir ne renvoie pas une image de celui qui s’y mire, mais une image où la droite et la gauche sont inversées par rapport à la personne réelle qui s’y voit. Il n’y a pas toujours eu de miroirs et on peut rêver d’une longue période préhistorique pendant laquelle les hommes ne se seraient effectivement jamais vus eux-mêmes et n’auraient ainsi jamais eu l’occasion d’imaginer leur propre visage, sans d’ailleurs s’en étonner ni même s’en aviser. Époque de vérité, en somme, où les hommes ne se voyaient pas mais n’avaient pas, comme aujourd’hui de multiples occasions de s’imaginer qu’ils se voient. (…) D’autre part, on sait que la première reconnaissance de soi dans le reflet d’une glace est une image de soi saisi en tant qu’un autre un peu éloigné et forcément un peu différent de soi, que l’enfant âgé d’un à deux ans perçoit néanmoins comme sa propre image, et qui est de fait l’image la plus proche qu’il aura jamais de lui. »
(L’invisible, Clément Rosset, Éditions de Minuit, 2012)