Un pays mythique
Depuis mon été à l’abri de la chaleur et des touristes, j’ouvre un espace fait de multitudes d’endroits où j’aimerais plus que jamais être. Il me suffit d’y penser pour savoir que jamais je ne me départirai d’Arles, ma mythologie personnelle, ancrée dans le passé et qui pourtant me revient par vagues, pour cette jeunesse insolente, ces amours d’autrefois, ce rêve d’une maison dans le silence de la Camargue et ses moustiques – des moustiques souhaités vivement, qui ont pour fonction d’ignorer les adorateurs de cette terre et de pourchasser les hordes de voyageurs pressés par leur appareil photo. Il y a Arles pour ses vestiges romains, qui viennent prendre place de façon si tranquille dans le quotidien, il y a Arles pour ce mélange subtil des populations, où les gitans ont une place. Dans ce Sud si farouchement et durement ancré à droite, si ce n’est à l’extrême de sa droite, il y a Arles pour cette envie d’égalité, qui fait que les enfants d’immigrés sont Français. Il y a Arles pour les longues déambulations dans les quartiers populaires, le Rhône, et les éclipses de sens – simplement marcher et regarder… Depuis Paris, je porte cette ville en moi, je sais que j’y retournerai, pour les paysages quasi intacts qu’a peints Van Gogh, et cette plage aux accents de désert, qui ne se gagne pas aussi facilement – marcher, marcher sur les sentiers, avec la peur de croiser un taureau qui divaguerait, pour aller au bout de l’horizon, l’esprit au grand large. Voilà un endroit de vacances tout indiqué.
Puis il y a la Bourgogne, mais il pourrait y avoir le Québec aussi, vous voyez comme nous sommes vastes, tant d’endroits à aimer. Le Québec, ce sera pour une autre fois, la chaleur, la convivialité des Québécois, et aujourd’hui Montréal réveillée, engagée, cette joie de la solidarité plus que jamais. Montréal et le Saint-Laurent, aussi vaste que la mer, ses eaux tourbillonnantes et cette vie qui se fait printemps d’érable.
Mais les vacances, pour moi du moins, cela signifie retrouver cette langue de terre vide, cet espace un peu au-delà des choses, où enfin dans le silence, à bonne distance des tracasseries du quotidien, on reprend l’ampleur d’être soi, debout, respiration apaisée, sans désir aucun que celui de tenir entre ciel et terre, dans une harmonie si rare aujourd’hui… Car le monde pèse de sa folle rumeur… La Bourgogne, donc, là où Internet passe difficilement, où les collines caressent le regard, où les maisons, centenaires, semblent sortir de la terre argileuse, semblent avoir pris forme pour se grouper en petits villages au milieu de nulle part, où vaches et veaux viennent vous regarder par-dessus les haies du jardin comme si vous étiez décidément des bêtes curieuses. Où la vie s’écoule, moins chère en euros, pour des gens qui, dans ces mêmes villages, ont converti les euros en troc : je te coiffe gratis et tu répares le robinet qui goutte. La centenaire du village se promène, pendant qu’un vieil homme taille une figurine dans le bois, comme ça, pour passer le temps. La chouette hulule, c’est bien connu, la nuit est bien noire, le silence absolu : quel privilège! Et les nuits de pleine lune, je m’avance sur cette campagne, je la contemple comme si j’étais tout droit sortie de ce rêve de vacances, fait de si peu et de tant à la fois. Une ville, ou plutôt deux, me plaisent beaucoup: La Charité-sur-Loire et Nevers. La Charité-sur-Loire pour ses bouquinistes qui défient le numérique, les chats dans les vitrines, les citations offertes sur les vitrines des magasins, puisqu’il s’agit de la ville du livre, et son fleuve: il faut toujours de l’eau pour apaiser les esprits. Réserve de castors, nids d’oiseaux à même le sol, pont roman, architecture et concerts baroques, la Bourgogne est un lieu d’apaisement. Et Nevers, où Alain Resnais tourna ,,Hiroshima mon amour“. Oui, il y a même une rue Marguerite Duras, dans cette ville blanche, comme si nous étions déjà à la lumière du Sud. Finalement, nous sommes également faits de la géographie des autres, de leurs désirs de lieux, investis de leurs passions. Des bonbons au caramel en bouche, comme une enfant, je marche. Là encore, ce sont de longues promenades dans la ville, pour en épuiser la topographie. Puis, échappée vers la campagne…
(extrait des Chroniques Parisiennes, article paru dans Kulturissimo, juillet 2012)