D'où je viens
« Une position convenable est celle qui permet de réunir dans le lieu du corps. Et réunir quoi ? Réunir tout ce qui est supposé faire vivre un corps, c’est-à-dire tout ce à quoi il doit être accordé, tout ce avec quoi il lui faut s’accommoder pour naître, croître et décliner. Une position assise est donc une vigilance tranquille et attentive qui met en correspondance toutes les parties qui constituent un être humain, qui s’ouvre aux autres plus proches ou plus lointains, qui accueille d’humeur égale les événements fastes ou néfastes et qui, d’accord en correspondance, se laisse investir par les diverses harmonies présentes dans le monde. Il suit de là que s’asseoir convenablement est un travail à plein temps qui n’est jamais achevé, car l’unité du corps et de l’esprit est toujours à refaire, de même que la plénitude dans l’accomplissement des tâches ou la mise en phase avec l’entourage et l’environnement. »
François Roustang (Il suffit d’un geste, Odile Jacob Poches)
Impression de tableau
Enraciné dans les noeuds de glace. Avec cette sensation des saisons. Impression de tableau. Un rite inconnu ancre les hommes.
Sixième avenue Est, rue Wellington. Volupté.
Autre chose
Difficulté à renoncer à une image. Au lieu même que cette image suscite. Quelque chose, là, pourrait bien se dérouler. La matrice d'un récit. Là. L'enfant, son désir d'être ailleurs, loin du Père, caché pour un quelconque jeu. 1 2 3 soleil...
Ou alors tout à fait autre chose, d'impensable, d'inaccessible...
Soir d'été
Un camion file à toute allure et colle à la voiture. Il veut l’emboutir. Le conducteur est fou. Père regarde dans le rétroviseur et accélère. À la faveur d’une côte, il reprend une bonne distance. Il fait chaud et doux. Nous aurions pu profiter de cette soirée. De la chansonnette à la radio. Le camion revient à la charge. Il klaxonne au loin. Impression de film. Le décor autour vacille. Mon frère et moi sommes sur la banquette arrière. Nous attendons. Père joue notre destin. Nous regardons par la vitre. Père trouve un chemin de terre, il y engage la voiture. Nous nous cachons dans un champ de tournesols. Aucun vertige. Le souffle court, c’est tout.
Focale
Ça va vite. Trop vite. Cet espace d'où je viens trouve peu à peu sa place, là où d'infimes larmes, perles de sueur, tranquillité enfin, jouent de leur matière devenue virtuelle. Sous les paupières, des éclaboussures. La vitesse m'éloigne du point de vue.
Pulsion, coulisses
J’ai grandi au Maroc, langue gutturale et viscérale. Langue éveillée depuis le fond de l’enfance et qui se réajuste sans cesse à la page, espace mouvant du rêve, de l’ailleurs, de l’équilibre finalement. Mon roman, Pulsion, a traité du départ du Maroc. Comme quelque chose d’irrémédiable. Pauline, une jeune femme, ne veut pas partir. Elle s’offre au pays, elle s’abandonne aux mains de garçons arabes, elle désire l’odeur du henné, celle du clou de girofle, les palabres, la nuit, le chant du muezzin. Elle refoule en elle les vestiges d’une colonisation qu’elle n’a pas connue. Elle est entièrement langue, pays, sans cela elle n’est rien.
Elle s’enferme nuit et jour dans un hôtel avec François. Leur désir : abolir le temps. Ils cassent les ampoules, ferment les rideaux, commandent toujours la même sorte de repas. Le directeur de l’hôtel, un Arabe, s’inquiète. Il parvient à pénétrer dans la chambre et vit cet amour de Pauline, le don de son jeune corps. Pauline s’offre au directeur. Si je peux rester, dit-elle, si vous me le permettez. Ce pays n’est pas le vôtre, répond le directeur. Un vertige saisit Pauline, François, le directeur. Le directeur est blessé. Une balle perdue. Ils le gardent dans la chambre. Le personnel n’ose intervenir pour plusieurs raisons. Au bout de quelques jours de souffrance, François se décide à l’opérer. S’ensuit une invraisemblable intervention. Torture fascinante, le corps laissé là, à demi-mort. Pauline et François s’enfuient.
Ce qui m’a étonnée : personne, aucun journaliste, alors que le livre avait reçu un excellent accueil, aucun ne s’est préoccupé de la dimension politique de ce roman. Du Protectorat, qui le hante encore, et dont Pauline tente de se dédouaner… avec lequel chacun se débat. Tabou, transgression, différentes sensibilités à taire… Encore et encore.
Dans la marge
Ça gigote. Double clic sur l’enfance. Même là, il faut une marge.
Du paradoxe d'avoir un blog
“Ce sont ces lettres, dont aucune n’a été envoyée, qui m’importent. Je dois avoir écrit au cours de ces cinq années environ dix mille lettres, pour moi seule, où il y avait tout.″ (Ingeborg Bachmann, Malina)
Je dois bien arriver à faire quelque chose de cet endroit, ici, entre le personnel et l’inconnu, accoster un nouveau territoire. Sans mélancolie – facile à dire – sans ce corps devenu encombrant. Du personnel, sans penser à la fréquentation de ce blog, sans penser à rien, en suspens. Sans exercice de style. Du voyage rapide alors. Comment faire ?
Mes tribus
Elles font le lien, elles m'obligent. Elles me rappellent la terre rouge, la puissance du chaman. Elles m'accueillent. Au moins trois jours d'hospitalité.
Elles surgissent, et c'en est fini, sous les doigts, de l'inconnu. Rituel pour des jours et des nuits.
Zou ! Il me faut une vitrine !
Des mots, de l'espace ! Emballé, le blog... Des routes, des pentes douces, de l'abandon... Une absence, forcément. Et puis des images... Huit à dix lignes de présentation. Beaucoup. Sur le mode poétique, ou alors mon point de vue sur la littérature. Rien. Silence. Toujours cette idée d'un espace à parcourir à l'intérieur du blog. Un au-delà du miroir.
Est-ce seulement possible ?