Pays
Le velours des collines, auquel répond le dos duveteux des vaches. On les voudrait là pour toujours au lieu de l’abattoir. Au loin une ferme et sa dépendance au toit de tuiles écroulé, les arbres ont poussé là-dedans, éden minuscule enserré de murs épais, où se lovent vipères et couleuvres. Toujours un souffle frais, de l’herbe à laquelle accrocher le regard, l’orée d’un bois, l’eau de la source. Puis remonter vers les champs paillés, revenir lentement, en épousant les courbes du chemin, jusqu’à la maison, se retourner, emporter les étangs et le colza, jaune acide qui pique les yeux, le maïs et ses corbeaux, le cri des outardes, le soleil couchant crevant les nuages d’un rouge fuchsia insensé. Encore une fois. Les collines courent au plus loin du regard. Repérer la présence furtive d’un renard, un passage aussi bref qu’une hallucination. Peupliers mangés par le gui. Allons au bord du ruisseau échanger des baisers. De tendres baisers, comme dirait la chanson.
Puis les étoiles filantes. La nuit emplit la bouche de ses sorts, pleine lune, cils coupés, la mort souhaitée des uns et des autres, de la vengeance à petits moyens. De tout temps des poupées aux têtes bourrées d’épingles, comme si l’on pouvait hâter les destinées.
Étés trop chauds et hivers neigeux. Mais ça dure, c’est l’essentiel.
Fuite
Un rêve infini, des photos dans des malles, et cette promesse de mariage, éduquée depuis toute petite, tenir un landau, aimer, coudre, réparer, surtout réparer, supporter, attendre depuis l’enfance que les mots cessent et que les jambes se dégourdissent, un paysage à dévorer, enfuies, elle et ses poupées. On les a retrouvées.
Cadeau !
Il y a quelque chose d’insupportable dans sa façon de faire. Il la met à disposition. Lui fait éprouver un étrange sentiment de culpabilité, à mots couverts, une rumeur de couple, qui la plonge dans l’abîme. Il a l’air doux, c’est un tyran. Toutes ces choses que les femmes ne disent pas.
Et voilà le cadeau qu’elle lui fera, en guise d’adieu, on ne peut plus approprié, une tête sans cervelle et à grosse bouche, une belle coquille à manipuler sans précaution.
Combien la tête ?
5 €, parce que c’est la fin, on remballe.
Très bien, je la prends.
Téléphonie
Les appareils sophistiqués apparaissaient dans les films comme les témoins d’une époque formidablement moderne. Vastes machines à remonter le temps, naguère jadis, pas un clou aujourd’hui, les télégrammes non plus n’existent plus.
Le silence en apnée
Il est des lieux où l'on s'accorde comme une évidence, avec ce tremblement de l'image nécessaire à l'instant suspendu. Un ermitage, trois moines cachés et une chapelle déserte, le silence en apnée.
Fausses victoires
Les méchants l’emportent toujours, mais la morale veut qu’ils aient un goût de mort dans la bouche.
En attendant le touriste
Au début, je les trouvais belles, ces boutiques abandonnées, vestiges d'une époque, le souvenir en palimpseste. Puis le temps a passé et elles se sont dégradées davantage. Au centre d'une ville déserte, elles s'enfouissent dans la crasse et la mémoire. La crise s'en est emparé, les creusant d'un vide de rien du tout, tandis qu'un peu plus loin, sur le trottoir, on restaure église et cloître, dans l'attente du touriste.
Chapelles
Des rosaces qui fondent sous la langue. Des fêtes de fin d’année comme autant de mirages au fin fond de la campagne. La maison repliée sur elle-même, la rumeur folle du miracle, d’une beauté enfin à sa portée. Et ça clignote…
Vide-pensée
Il fallait un vide-grenier, comme un vide-pensée, de la misère en vente, du goût formaté. Plus de pièces de collection, mais des produits Ikea pour quelques euros, et des trophées de bêtes, de "l'art loisir". On ne cherche plus la bonne affaire. On attend simplement que le temps passe dans un faux accent de convivialité, dont on a désormais le secret. Et pour finir, un ou deux étals, comme autant d'intérieurs modestes à fouiller d'un regard distrait.
Mon père
Il fallait bien un vieux roi, pour ce royaume de folie. Un sage mutique, à la couronne de papier. Mon père, qui figure ici, depuis ses années profondes, ses espaces pliés. La beauté de ce visage et des grandes mains, d'une gourmandise encore de mise... Là où plus rien que l'inquiétude et le temps qui se défait... Et lui, peuplant mes rêves de son affection lointaine. A qui je parle encore, comme s'il était là, comme s'il me garantissait quelques retrouvailles, au bord de la mer, lors d'une longue marche. Toujours là, de son empreinte façonnant mon enfance, comme un lieu rêvé, magique. Il est l'initiateur des grands rites. Il est celui devant qui l'on se prosterne, image sur l'autel des ancêtres.