Figures de l'histoire
14 Janvier 2014 , Rédigé par Clotilde Escalle
« Au sortir de la Grande Guerre, Chirico renouvelle la peinture d’histoire en re-peignant le plus émouvant des départs au combat : les adieux d’Hector et d’Andromaque, simplement remplacés par des mannequins. Dans les années 1940, l’exilé juif Felix Nussbaum, dans sa cachette d’Amsterdam, peint, avec ses figures à l’expressionnisme figé, l’allégorie des camps et de la mort qui l’attendent, tandis que, sur les bords du lac de Constance, Karl Hofer les spectralise à sa manière, dans la disposition calment inhumaine des panneaux perpendiculaires et des personnages nus et solitaires de La Chambre noire. En 1990, le fils d’émigrants juifs Larry Rivers, le même qui avait démystifié l’iconographie de Washington, peint deux portraits tranquillement symboliques du témoin des camps, Primo Levi. Sur l’un, la figure de l’écrivain se dédouble pour laisser apparaître le visage de l’enfermé. Sur l’autre, le mouvement de sa main déroule le paysage des murs et des silhouettes des victimes. Surimpression empruntée au cinéma, décomposition du mouvement empruntée à son ancêtre, la chronophotographie de Marey. L’histoire n’a pas fini de se mettre en histoires. »
(Figures de l’histoire, Jacques Rancière, Travaux Pratiques, puf, août 2012)