Signature OFF
J’aurai le grand plaisir de vous accueillir pour la lecture et la signature de mon roman, OFF, paru aux Editions Pierre-Guillaume de Roux, le mardi 19 juin à 19h, à la librairie Delamain (155, rue Saint Honoré, Paris 1er, Métro Palais-Royal).
Evidence
« Si Balzac, si Stendhal, Zola ou même Faulkner ont, avant de se mettre à écrire, une idée ou des idées à communiquer (à « exprimer » comme l’on dit) sur le sens de la vie, le monde, la société, pour moi, écrire, c’est seulement chercher par et dans cette langue qui me constitue en tant qu’être parlant et pensant, comment s’associent les éléments apparemment dispersés de ce magma d’émotions, de sensations et de souvenirs qui me constituent en tant qu’être sensible et dont, curieusement, deux auteurs aussi différents que Flaubert et Tolstoï parlent en termes à peu près semblables, c’est-à-dire que toutes ces remémorations, pensées et sensations se présentent à la fois, « en nombre incalculable » (Tolstoï) et par « fragments détachés » formant des combinaisons (Flaubert).
(Quatre conférences, Claude Simon, Editions de Minuit, 2012)
Rouge bonheur
L’un de mes romans, Off, paraît ces jours-ci. Mon carnet d’adresses n’est pas celui d’une mondaine (je n’ai jamais aimé les cocktails) et Beckett sur mon épaule, en ange gardien (pas pire !), m’encourage à me remettre à l’ouvrage. Dire surtout qu’il n’y a pas autre chose, fondamentalement, que l’écriture, et la couleur rouge, dans ce printemps aux insectes déchaînés, aux coccinelles au fond des toilettes et partout sur les vitres, dire ce je ne sais quoi, qui fait les nuits de pleine lune plus profondes, cette folie de l’écriture, l’abîme d’être soi… avec de grandes ailes s’il vous plaît et une belle piste d’atterrissage… Oui, pourquoi pas.
Eloge de l'intervalle
L’exposition Matisse (Paires et Séries, Centre Pompidou), offrant des techniques différentes pour un même point de vue présenté en deux toiles côte à côte, est un vertige si l’on pense à l’intervalle entre ces deux toiles, à l’espace qu’un tel procédé d’investigation propose, pour les séries également qui décomposent sans jamais la fixer toute une procédure et laissent dans la mémoire un espace mental jamais clos - une mémoire d’autre chose - élaboré à partir des peintures présentées. Comme si à travers ce palimpseste, opérait le vaste champ des possibles, un imaginaire convoqué, des plus personnels, qui permettrait alors d’incarner davantage, de s’approprier encore plus les peintures admirées.
Convoquer le monde
La question est ardue, mais elle mérite d’être posée, tant la rémanence rétinienne de ce qui n’existe pas, d’une toile absolument fantôme, continue de me hanter, jouant de sa présence/absence autour des pivots que constituent les toiles de Matisse. Le lien mental opère donc comme jamais, si je considère, en plus du fait que les toiles ainsi présentées sont des œuvres à part entière, qu’il y a dans cette représentation du sensible un art du fragment, comme il en va de toute façon de toute œuvre, dès lors qu’elle ne prétend pas enfermer, raconter une histoire close sur elle-même, mais convoquer le monde, son immensité, par éclats successifs. La littérature agit de la même façon, du moins celle que j’aime. Frédéric Beigbeder, interviewé sur une radio française, a eu ce propos affligeant de banalité : j’écris des histoires, car en France on les aime. Propos à la volée, à peine pensé, du moins l’espère-t-on. Car des histoires, en ce moment, on en regorge. Littérature et cinéma proposent des quantités invraisemblables de petites histoires qui illustrent la vie sociale, le fait divers, la grande histoire, avec ce consensus de la langue et des techniques qui mettent à mal l’art. Cet art où l’on devrait sentir, derrière les murs, les couleurs, les mots, sous nos pieds, la force de l’abîme. Cet abîme ne peut survenir que dans une recherche presque inconsciente d’un ailleurs, d’un infini, d’un au-delà du miroir. L’histoire cantonne, nous confine au déjà vu, déjà su. Alors que la description, la présence d’un personnage que rien ou si peu ne justifierait, qui serait comme une impasse, mais qui par sa présence donnerait la perspective d’un intervalle, d’un espace vierge, là où plus rien à l’image, dans le récit, sur la toile, ne bavarde, où tout est porté à l’essentiel d’un équilibre qui n’est en quelque sorte qu’une tension un court instant suspendue, tout cela ouvre un endroit cher à l’artiste, qui cherche à chaque fois son envol dans des cieux blancs et vierges. Faire taire le bavardage, le loisir, qui ont certes la vertu de la distraction. Pour en revenir à cet intervalle, je le recherche plus que tout. Il est la respiration même de l’œuvre, le lieu secret imprimé dans nos inconscients comme la preuve durable de notre humanité, si l’on pressent cette humanité comme quelque chose d’assez sublime qui nous dépasse.
(extrait de l’un de mes articles, à paraître dans le Kulturissimo d’avril 2012)
Des cochons sur des patinoires
Il fait gris et les morts me manquent, un en particulier, mais nous sommes si bien faits qu’ils s’accumulent par strates en nous. Magnifique alors de vieillir; il suffit de s’endormir pour y rêver, et le jour de sentir le manque en creux. Magnifique alors de veiller, car nous opposons à leur sagesse la folie (dans le meilleur des cas) des vivants, leur mesquinerie, leur idiotie, leur cupidité. Nous leur donnons, nous leur faisons crédit, aux morts, tandis que tout s’agite ici et que la colère ou la tristesse nous étreignent. Nous leur disons – et particulièrement, pour ma part, à l’un d’eux, récemment disparu – nous leur disons combien l’énigme est toujours aussi grande, sous les étoiles, malgré les météores qui tombent et les antennes et les satellites qui surgissent. Nous sommes faits d’énergie, leur disons-nous. Nous bougeons, nous nous agitons dans tous les sens. Nous faisons beaucoup de mouvements pour rien. Nous approchons des élections, nous vivons internet et ses faits divers, nous oublions pour mieux nous rappeler, à moins que ce ne soit l’inverse, nous fuyons le brouhaha. Oh, regarde, ce lettrisme, comme il est démodé. Et puis regarde, cette boucherie, on l’a fermée. Les villages se meurent, que voulez-vous… Mais il y aura toujours des cochons sur des patinoires…
Matisse dans un fauteuil
« Ce que je rêve, c’est un art d’équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit, pour tout travailleur cérébral, pour l’homme d’affaires aussi bien que pour l’artiste des lettres, par exemple, un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d’analogue à un bon fauteuil qui le délasse de ses fatigues physiques. »
(« Notes d’un peintre », Henri Matisse, Editions Centre Pompidou, janvier 2012)
Quelle époque
Il est difficile finalement de trouver sa place, d'élargir le champ sans cesse, de vouloir vivre comme si l'on avait trois cents ans devant nous, dans une société qui nous condamne au loisir, à la maladie ou à la consommation. Il est difficile de sortir de l'étau - suées et cauchemars - pour aller où? - planète toute petite. Alors un espace intérieur où la flèche atteint sa cible, où le vol des canards sur un paravent figure l'immensité... avec l'ennui pour aller au bout de l'imaginaire, et de l'encre comme du sang dans les veines.
Petite topographie
“Quand on vient de Chavirat on a à droite d’abord le café du Cygne qui fait l’angle avec l’ancienne cordonnerie Chinze, c’est un petit magasin de chaussures maintenant installé par Topiron une succursale de son commerce d’Agapa il a fait une vitrine en plastique et repeint tout l’extérieur en gris clair, la maison a deux étages d’habitation et un toit d’ardoise très en pente elle est vieille pas carrée elle a la forme de la rue et de la place si vous voyez disons plus écartée sur la place avec des volets verts, et le Cygne a été repeint en rouge ils ont laissé la vieille enseigne en fer forgé simplement repeinte en noir c’est un cygne dans un rond suspendu à une équerre. Monnard n’a jamais fait de transformation à son café je l’ai dit il habite au-dessus sur la place, madame Monnard a toujours des pots sur ses fenêtres…″
(L’Inquisitoire, Robert Pinget, Editions de Minuit, 1986)
Pour Noël
Pour Noël, cela pourrait être Colette, son musée, sa voix, ses yeux, ses chats, Saint-Sauveur... Cela pourrait être les mares et les étangs, ce brouillard des jours et des nuits, Paris en arrière-plan du fond de l'Yonne, cela pourrait être des mots, mais surtout de la gourmandise. La tranquillité du temps qui passe, ces soirées si délicieuses, la lecture tout au fond des plumes, tout ça à la fois...
Bal
Il y a toujours eu des photos déchirées à la maison. La même vieille rengaine du bal. Surtout ne pas laisser le souvenir d’un instant de grâce, en supposant que celui-ci eût pu avoir lieu. Mère taillait à vif dans la photo et père avait une drôle d’allure, tout seul, les bras levés dans le vide, la silhouette de son épouse ayant tout simplement disparu. Mais il leur arrivait d’accorder leurs pas.