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Le blog de Clotilde Escalle
Articles récents

En attendant le touriste

9 Février 2019 , Rédigé par Clotilde Escalle

Au début, je les trouvais belles, ces boutiques abandonnées, vestiges d'une époque, le souvenir en palimpseste. Puis le temps a passé et elles se sont dégradées davantage. Au centre d'une ville déserte, elles s'enfouissent dans la crasse et la mémoire. La crise s'en est emparé, les creusant d'un vide de rien du tout, tandis qu'un peu plus loin, sur le trottoir, on restaure église et cloître, dans l'attente du touriste.

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Chapelles

22 Décembre 2018 , Rédigé par Clotilde Escalle

Des rosaces qui fondent sous la langue. Des fêtes de fin d’année comme autant de mirages au fin fond de la campagne. La maison repliée sur elle-même, la rumeur folle du miracle, d’une beauté enfin à sa portée. Et ça clignote…

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Vide-pensée

30 Septembre 2018 , Rédigé par Clotilde Escalle

Il fallait un vide-grenier, comme un vide-pensée, de la misère en vente, du goût formaté. Plus de pièces de collection, mais des produits Ikea pour quelques euros, et des trophées de bêtes, de "l'art loisir". On ne cherche plus la bonne affaire. On attend simplement que le temps passe dans un faux accent de convivialité, dont on a désormais le secret. Et pour finir, un ou deux étals, comme autant d'intérieurs modestes à fouiller d'un regard distrait.

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Mon père

16 Septembre 2018 , Rédigé par Clotilde Escalle

Il fallait bien un vieux roi, pour ce royaume de folie. Un sage mutique, à la couronne de papier. Mon père, qui figure ici, depuis ses années profondes, ses espaces pliés. La beauté de ce visage et des grandes mains, d'une gourmandise encore de mise... Là où plus rien que l'inquiétude et le temps qui se défait... Et lui, peuplant mes rêves de son affection lointaine. A qui je parle encore, comme s'il était là, comme s'il me garantissait quelques retrouvailles, au bord de la mer, lors d'une longue marche. Toujours là, de son empreinte façonnant mon enfance, comme un lieu rêvé, magique. Il est l'initiateur des grands rites. Il est celui devant qui l'on se prosterne, image sur l'autel des ancêtres.

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Mirage

27 Juillet 2018 , Rédigé par Clotilde Escalle

L'été est un poison lent, une façon de venir à bout des désirs, et elle ne sait de quels autres vœux qui d'habitude font croire au Père Noël ou à la mansuétude des gens. L'été et sa lumière sont de puissants révélateurs. Elle s'en tient, autant que faire se peut, à l'écart. Écriture et lecture, Mars et la lune, hérissons et pics-verts. Et elle, debout, pivot autour duquel faire tourner le paysage. On ne la voit guère que le soir...

(détail d’une peinture d’Anne Tastemain, DR)

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Un voeu

9 Juin 2018 , Rédigé par Clotilde Escalle

Il en fallait bien un. Un vœu qui vaille la peine. Qui donnerait aux tourments des allures de mirage. Qui ferait taire le ressassement. Qui ferait oublier la mort des bêtes et des hommes. Comme une respiration ténue, subtile, légère. Quelque chose qui bruisserait à peine et prendrait son envol. Là où les nuages, dit-elle... où les nuages... Toujours le sens de l'image facile. Nuages, arbres, vent. Le décor à jamais. Et un bout de ficelle pour tenir, s'attacher à quelque chose. Pas une grosse corde à laquelle se pendre, et si l'arbre n'est pas assez haut, finir ça à genoux, dans un élan - est-ce seulement possible? Un petit vœu de rien du tout, une comptine, un rire. Ça la poursuit. Ça ne la lâchera jamais. Au temps des premiers fruits du printemps, ce vœu presque pieux... d'être une autre.

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Petit Zéphyr

4 Avril 2018 , Rédigé par Clotilde Escalle

Le corps monte jusqu’au plafond en faisant une torsade. Puis il s’accroche au lustre, rampe jusqu’à la fenêtre. Les mains jettent leurs crampons à droite, à gauche, le menton s’enfonce dans l’épaisseur des rideaux, les yeux roulent et se révulsent.

La lumière a baissé, à cause du voile inopiné que fait le corps contre l’ampoule.

Il semble partout dans la chambre, contre les murs et les tentures. Mais il ne s’aventure pas au-dehors, ni par la fenêtre ouverte, ni par la porte donnant sur le couloir. Les mâchoires sont ouvertes, tel un piège. La peau a foncé, elle fait un bruit de feuilles sèches. Les os se sont assouplis et s’étirent comme du caoutchouc, ou s’enroulent sur eux-mêmes. La voix vibre, notes cristallines, chant mélodieux d’un au-delà ravissant. La langue s’étale contre le mur, gros morceau de viande rouge, distillant un liquide sucré dans lequel viennent s’engluer des fourmis.

Lorsque nous l’appelons, il ne se rend plus compte que c’est à lui que nous nous adressons. Pour lui dire de revenir, l’un de nous est obligé de grimper. Pour cela, il s’aide des membres noués, comme des barreaux d’une échelle, s’accroche aux mains, s’enfonce dans les berceaux de chair, glisse et ahane, cherche dans ce fouillis une oreille, et dès qu’il l’a trouvée, chuchote à l’intérieur. Mon père répond par un bruissement infini, un sursaut de toutes ses feuilles, qui pendent, accrochées à lui, comme de vieilles breloques. L’homme tente de le ramener à la raison. Il souffle par tous les trous qu’il trouve, colle l’oreille contre ce qu’il croit être la poitrine, et suffoque, pris dans des racines noueuses qui se déplacent doucement et se transforment en d’innombrables reptiles, dont avec effort il desserre l’étreinte.

Mon père a l’air bien, là haut, il nous le fait savoir à sa façon. Que l’on se débrouille sans lui.

Parfois nous sortons de la chambre et attendons qu’il veuille bien reprendre figure humaine.

(Extrait de Petit Zéphyr, en hommage à mon père, texte inédit)

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Nuages

17 Mars 2018 , Rédigé par Clotilde Escalle

 

Il est de ces temps presque morts où visiter un ami cher à l'hôpital, section réa, chambre rose et tout le tintouin, appareillage de science-fiction pour le tout ou rien, il est de ces temps qui vous placent d'emblée entre ciel et terre, une couette au milieu, ça tombe bien ce sont les giboulées de mars, une couette aussi légère que de doux nuages.

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La peinture d'Anne Tastemain

14 Janvier 2018 , Rédigé par Clotilde Escalle

Couleur et palimpseste

D’emblée, nous sommes face à une surface qui s’impose à nous par sa capacité d’aveuglement et de dévoilement. Comme si derrière l’opacité qui entend faire régner un silence d’avant la création, se jouait la peinture dans ce qu’elle trame d’essentiel, son surgissement.

Nous pourrions lire la surface avec la facilité d’influences diverses, que l’on pense d’emblée à Rothko et plus loin à Viallat, mais si l’on approche cet espace qui ne livre pas son secret et offre depuis l’austérité maquillée par la couleur une beauté tout intérieure, alors l’acte de peindre semble nous être livré dans son élaboration, par des palimpsestes de gestes et de couleurs.

Immensité du paysage caché, de ces paysages qui ne recherchent aucun reflet, aucune représentation, mais l’abîme qui les élabore, la tension qu’ils suscitent en nous, dans un élan, une aimantation qui gronde sous la surface.

Comme l’écrit Anne Tastemain : „J’ai très tôt, pour des raisons qui ne me sont pas claires, fait glisser hors du tableau toute forme de narration, dissocié image, représentation, travail au trait et couleur.“

L’ouverture au monde

Cet espace du dedans, pour reprendre un titre de Maurice Blanchot, même si la formule s’appliquait à la littérature, peut également, pour un médium différent, tenter de redonner la force de ce qui s’aventure en nous sans qu’on puisse le nommer, qui échappe à toute définition et qui clame son ouverture au monde. Car cette déclinaison de la peinture par pans qui dilatent l’espace et le temps, travaille le regard dans une intimité du souffle et du détail. L’œil accroche la moindre bribe de narration, c’est un éclat, l’écorchure d’un récit occulté. Et ce détail, cette écorchure – une coulure, un tressage subtil qui livrerait quelques uns de ses fils – redonnent récit à leur façon, un récit d’avant les mots, une perception à l’infini.

 

 

Nous nous tenons sur le seuil, nous entrons dans la peinture, elle nous engloutit. Les panneaux assemblés sont autant de portes, de réminiscences de la couleur, de cultures et de mondes à l’œuvre. Les bordures, les coups de pinceaux sont des manières personnelles pour dire l’anonyme, la voix errante, la couleur qui use l’endroit de la toile, l’occupe encore et encore, avant de prendre forme. Et lorsqu’elle arrive, elle est le résultat du temps et du mélange, métissage heureux pour ce qui nous dépasse.

Cette surface n’est pas simple, on ne la balaye pas aussi facilement du regard, elle donne naissance. Elle peut être décor, mais pas un décor dans ce qu’il a de limité, un décor comme un environnement, un enveloppement de l’être dans un monde de formes, de territoires lointains et inexplorés.

La peinture est matière textile parfois aussi, semble-t-il, comme des mains qui n’auraient cessé de nouer leurs empreintes. Anne Tastemain joue de la résonance de la nature, de ce que la couleur et la forme provoquent de manière indicible en nous, pour nous le redonner avec cet éclat de ce qui jamais ne sera nommé ou n’aura vraiment existé, tant l’ampleur qu’elles suscitent court à l’infini.

C’est cette immensité que nous goûtons là. Les titres en sont d’ailleurs évocateurs, „On the road“ ou „Territoire“ pour des huiles sur papier, qui nomment des lieux et des visions indéfinissables. Grands et petits formats sont autant de vastitudes en mouvement.

Quant aux dessins élaborés plus rapidement, ils agissent depuis leur dépouillement comme des traces intemporelles, des schémas, des mises à plat, une énonciation simple et immense de la nature. Herbier (diptyque, huile sur papier thaïlandais, 2015), par ses mouvements, redonne le temps et la forme par strates d’une limpidité et d’une précision sans faille, ce sont de grandes et belles lignes de force.

Dans l’espace de l’exposition se reconstitue alors l’atmosphère de l’atelier de l’artiste, dans le côtoiement d’œuvres aux temps si différents, toiles prises dans la lenteur destructrice de toute tentative d’anecdote ou dessins d’une rapidité qui éprouve la simplicité élémentaire. Nous avons ici la force d’une beauté sans faille, celle inachevée et idéale qui nous habite et nous élève.

Un moment rare, une contemplation, un apaisement – l’art d’Anne Tastemain nous est donné comme une ascèse salutaire.

 

 

EXPOSITION Anne Tastemain au Château de Ratilly (juin-octobre 2017)

De notre correspondante

Clotilde Escalle

(article paru dans le Tageblatt, 21 août 2017)

Photo: Emmanuel Berry

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Le ravissement des premiers émois

6 Décembre 2017 , Rédigé par Clotilde Escalle

 

« Tout à l’heure le silence l’avait gêné, à présent il lui donne du cran. Tout à l’heure il avait cherché à le combler parce qu’il fallait bien que quelque chose se passe, parce qu’on ne pouvait tout de même pas rester ainsi à faire semblant de rien, à présent le silence qui revient le met dos au mur, pied à l’étrier, c’est le retour du silence qui vient guider son geste, et avec une minutie, une justesse, une exactitude folles et craintives, sans rien brusquer de l’autre ni remuer le moindre bout d’étoffe, voilà son bras qui se lève, se met à hauteur, entreprend de l’entourer et de se poser sur son épaule, l’épaule opposée, et elle elle ne dit rien, ne montre rien, du moins ne montre-t-elle rien qu’elle ne veuille montrer, mais lui voit bien sur sa peau le frémissement de la rougeur, et le tremblotement de la lèvre inférieure, et l’éclat rubis dans ses yeux ; alors il continue, alors il allonge son bras un peu plus loin encore. Il sait qu’elle frissonne, il sait qu’en elle tout bat, le cœur, le ventre, la peau, il sait qu’elle se laissera faire – qu’elle est d’accord. Mais il y a ces cheveux, ses cheveux si blonds qu’on la croirait née dans un de ces champs voisins où le tournesol règne en maître et domine à perte de vue, ses cheveux blonds comme les flammes mais aussi très longs, si longs que sa main vient s’y emmêler, que sa main vient s’y embrouiller, alors il y voit un mauvais présage, un avertissement, peut-être une remontrance ; mais ce dont il a peur d’abord c’est de lui faire mal, c’est de lui tirer les cheveux par maladresse, inattention, d’ailleurs elle vient de tressaillir, j’ai dû lui faire mal mais c’est sans le vouloir, et sa main toujours emmêlée, et lui tout enrougi de misère et de honte, et elle qui de nouveau tressaute, aïe, ose-t-elle du bout de ses lèvres en amenant sa main vers ses cheveux tout en redoutant qu’il le prenne mal et qu’il n’ose plus. Enfin la main finit par se désemmêler, elle retombe, molle, accidentelle, sur l’autre, sur sa main à elle, et voyant cela il décide de l’y laisser, de la laisser posée dessus, puis tous deux se dévisagent d’un regard blanc où peu à peu s’impriment des sourires inédits. »

Marc Villemain, Il y avait des rivières infranchissables, (Joëlle Losfeld Éditions, septembre 2017)

 

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