Les désirs insatiables
"Esquivons les désirs insatiables". Qu'est-ce qu'un désir insatiable. Tout comprendre. Se reposer. Repartir. Déchirer ceux et celles qui approchent. Mettre leurs visages de carnaval dans une malle avec les masques de James Ensor, chercher l'oreille de Van Gogh, la main qui écrit. Ranger les pensées fumerolles, ce jeune homme debout dans la cour d'une ferme, quelque part dans un film, désert américain. Ramener des langues natales, la mer au bout, la mélancolie des petits cafés bleus de nuit. Ranger la vastitude du passé et les souvenirs panoramiques dépliés en un rien de temps, une caresse sur son front de petite fille, l'amour espéré, bonbon qui fond collé au palais, contre lequel la langue vient, revient, les mots tendres et le chocolat au lait chaud qu'une vieille dame lui préparait. Dépoussiérer les rumeurs, les carrelages, les cheveux des morts, le buste de Beethoven, l'espace en soi, les prières et les souhaits méchants - faites que ma grand-mère meure, je ne la supporte plus, elle m'épie tout le temps. Reprendre les bonnes résolutions, une à l'endroit, une à l'envers, les chasser du revers de la main. Comme on feuilleterait un album photo. Ces silhouettes pour des riens. Ici, deux fillettes, la plus petite sur le point de disparaître, happée par la lumière.
Au printemps
Pour fêter le printemps, quelques-uns de mes Oiseaux séjourneront dans ce lieu de rêve !
Mes Oiseaux exposés à Paris en février - mars
Mes Oiseaux, flottants, fantasques, incandescents, survolent notre histoire, nos territoires, connaissent le monde, s'en font une raison, s'en éloignent momentanément, s'en échappent, partent à la rencontre des fables et de l'innocence. Chacun son caractère, comme un personnage de conte, une métaphore, un brin de poésie. Témoins inopinés, ils nous accompagnent, se posent ça et là, nous observent dans le tumulte des hommes livrés au fracas ou au contraire dans le retrait d'un espace solitaire qu'ils éclaboussent de couleurs.
Temps
Du grenier à la table. Des compositions "artistiques", la volonté de présenter bien les choses, par séries, la fébrilité, l'attente. Le chanteur s'égosille sur des standards, micro mal réglé, des voitures anciennes sortent de leurs collections, on se souvient encore d'un outil particulier dans une langue rude, ça s'affaire et ça se promène, frites et beignets. Retour aux tables des temps anciens et des objets usés, mains là-dessus, marchandages de fragments de vies.
Extrait de l’entretien avec Clotilde ESCALLE publié dans DISSONANCES #43
Écrivez-vous plutôt « pour » ou « contre », « dans » ou « hors », « malgré » ou « à propos de » ?
J’écris ailleurs.
Quelle est la part de la contrainte dans votre écriture ?
La régularité et le silence.
Que faites-vous quand vous n’écrivez pas ?
J’emmagasine. Sans m’en rendre compte, je m’immerge jusqu’à ne plus être, sauf à vivre dans la peau de l’autre. Sinon, vie quotidienne normale, je marche beaucoup, je peins – presque uniquement des oiseaux (des visages et des pommes, plus rarement).
Qui est votre premier lecteur ?
Mon mari. Il est un bon lecteur. Tact, esprit critique.
Qu’est-ce qu’un bon éditeur ?
Quelqu’un qui vous suit et vous soutient de livre en livre. Cet espace littéraire ouvert permet d’évoluer peut-être plus vite.
Que diriez-vous à un auteur cherchant son premier éditeur ?
Être un tant soit peu sûr de son manuscrit. Il existe sûrement un éditeur pour son univers. Ne pas en espérer beaucoup, ce n’est que le début. Sauf s’il a la chance de trouver… le bon éditeur.
Quelle fut votre première grande émotion de lectrice ?
Clown, d’Henri Michaux.
Que faut-il lire de vous ?
Ce que vous voudrez.
Votre ego d’écrivaine vous gêne-t-il pour marcher ?
Qu’est-ce qu’une écrivaine ?
Qu’est-ce que la poésie ?
Un…
…suite de l’entretien dans la version papier de DISSONANCES #43
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La peinture d'Ernesto Riveiro
Ernesto Riveiro au Château de Ratilly
Une peinture à l’infini
Clotilde Escalle
Le peintre argentin, Ernesto Riveiro, né en 1947 à Buenos Aires et vivant en France, est l’invité du Château de Ratilly, en Bourgogne. Ses œuvres récentes font l’objet d’une exposition exigeante, qui interroge la peinture, la démarche métaphysique de l’artiste, comme une histoire impossible à décrypter vraiment, lorsqu’il s’agit de nécessité et d’ontologie.
En entrant dans la première salle, la peinture abstraite nous invite à quelques références de principe. Le regard, le mental, ont toujours besoin de repères, avant d’abandonner la partie et de se laisser guider, de se perdre dans un univers jusque-là inconnu. Certes, il y a des ressemblances. On pense d’abord à Joan Mitchell pour ses gestes amples et sa déclinaison des signes. On pense aussi, on ne sait pourquoi, de manière presque échevelée, mais pas tant que ça, à l’écriture de Raoul Dufy, qui venait surimposer sur la couleur des lignes nerveuses. Et puis il y a également l’univers impressionniste, pour la fluidité, cette couleur qui coule dans des motifs insaisissables.
Chercher ce qui échappe
Une fois ces repères affichés, nous voilà obligés de les abandonner et d’approcher de la toile. La peinture se déploie selon des rythmes différents sur le même espace, dépouillée d’anecdotes, comme l’essence du monde. Se laisser absorber par les mouvements inverses, paradoxaux, les élans, les grilles et les caractères, la matière. Tout change, tout se meut, parfois magmas, parfois cadres, grilles débordées par ce qui se passe en dessous, tout autour d’elles. Rien ne tient en place, cette matière en perpétuel devenir dans un espace qui se déploie à l’infini est la peinture d’Ernesto Riveiro. Il en fait sa métaphysique. Une manière d’avancer dans le mystère de l’être, comme dans un monde en désordre ou en pleine gestation. De la matière qui accoucherait d’une infinité de signes sans ordonnancement possible, à part celui que le regard élabore tant bien que mal. L’anecdote est impossible, l’abstraction ne se dit pas. Elle n’est ni conceptuelle ni alignement de couleurs dans une forme plus ou moins contenue. Nous sommes ici à sa source. Tenter, malgré l’impuissance. Nous sommes proches des derniers textes, plus abstraits, de Samuel Beckett, dans son „tant bien que mal et tant mal que pis“. Tenter de dire, de montrer, sans rien raconter, saisir cette perception qui colle à la peau. Cette organicité, cet élan de vie, l’échec aussi. Jamais de beau pour du beau. Nous sommes dans l’exigence de la peinture, dans ce qu’elle convoque de silence et de contemplation, sans plus aucune référence. Nous voguons, nous flottons, parfois nous sommes ramenés à la matière sourde, par un geste, une couleur, comme une terre primitive. Alors s’élaborent des signes que le peintre lui-même ignore. Ne pas faire de beau, éviter la cohérence, chercher sans cesse ce qui échappe. Casser l’unité du tableau par des diptyques. Haut et bas indifférents. Chercher l’absolu qui bat au creux du geste, et qui poursuit indéfiniment sa quête. Couleur, espace, abécédaire, un geste qui bifurque aussitôt pour autre chose. De digression en digression, de surprises en surprises, la peinture fait son chemin, s’accompagnant parfois de trouées blanches, d’une aspiration lumineuse.
Evidemment aucun besoin de représentation. Comme une danse chamanique – l’image est facile, mais elle a le pouvoir d’invoquer des énergies supérieures –, se déploie ici-même ce qui nous constitue, la matière en fusion, tantôt menaçante, vaporeuse, séduisante dans ses couleurs, hypnotique, insondable.
Habiter le chaos
„ (…) c’est une peinture qui s’élabore sans programme, dit Ernesto Riveiro, dans un entretien accordé à Martin Pierlot, dans le catalogue édité pour l’occasion; il n’y a pas même l’idée de commencer, il n’y a pas non plus de sensations de finir.“ Et ailleurs, vraiment à la façon d’un Beckett, échouant et échouant encore, dans cette absence d’idéal qui permet d’être au plus près de soi, dans la matière et l’élan de la chair, la pulsion vitale, Ernesto Riveiro dit: „Et parfois, tout à coup, j’en ai marre; tout à coup, un éclair de lucidité: ce que je suis en train de faire en ce moment est très mauvais, un désastre!... (rires) Alors j’en arrive à démolir, à détruire. Pourquoi? Car il y a eu un enchaînement de mensonges, chaque mensonge voulant en cacher un autre… Une couche vient cacher une erreur ou une mauvaise direction, un cheminement d’une grande banalité, une direction séduisante, prometteuse. Il ne faut pas mordre à l’hameçon de ce piège.“ Chaque geste alors devient surprise, hasard, continuation d’une trame qui s’élabore comme malgré l’artiste, en dehors de lui. Cette énergie qui le traverse, effectivement, n’admet aucun mensonge. Et la pertinence d’un monde en fusion vient s’inscrire en nous, au plus profond, comme une nécessité d’habiter le chaos, chacun à sa façon.
article paru le 7 septembre dans le Tageblatt, quotidien luxembourgeois.
Ernesto Riveiro, Œuvres récentes
Jusqu’au 13 novembre 2022
Château de Ratilly
89520 Treigny
Catalogue: Ernesto Riveiro, Œuvres récentes (Château de Ratilly, 15 €)
Toute seule dans la revue Dissonances
Nabil Massad
L'un de mes amis les plus chers, homme d'une bonté et d'une délicatesse inouïes, nous a quittés dans la nuit de ce vendredi 15 avril 2022. Ma peine est immense. Il a été un complice de vie. Je lui ai dit au revoir longuement hier. Ce moment d'amour infini rend les actes du quotidien d'une absurdité impossible. Aimer est le plus grand don.